Chroniques.
On n'était pas payés cher, à l'époque,... mais on rigolait bien.
© Pierre Binet 2009/2011.
Histoires vraies et anecdotes vécues.
1. Fait divers,
Le sergent Guillou chef mécanicien de piste, détaché pour son "tour opérationnel" de la hase de Saint Dizier, était de taille moyenne, assez trapu, le cheveu noir et vagabond, d'une pratique agréable en général. Breton de pure souche, il avait la caractéristique assez exceptionnelle de pouvoir prendre 2, voire 3 "cuites" dans la même journée, pendant et en dehors des heures de service. Mais 1 ou 2 heures de sommeil, allongé surtout à l’ abri des regards, sur un lit Picaud de la tente de piste, lui suffisaient cependant peur récupérer le cours normal des choses. Ce comportement motivait le harcèlement de son supérieur, l'adjudant-chef Beaudelot, adjoint à l'officier mécanicien, avec qui il entretenait des relations liés tendues.
Excédé par les remarques incessantes de celui-ci et sûrement après une journée particulièrement "chargée", il décida un soir de déposer ses besoins sur le paillasson qui protégeai le bureau de l'adjudant-chef, lui manifestant ainsi les sentiments profonds qu'il éprouvait à son égard. Fouillant précipitamment ses poches dans le noir, à l'issue de " l'opération", il en sortit un papier qu'il utilisa, dans un souci de propreté, puis regagna incognito ses quartiers, en catimini.
Imaginez, le lendemain matin, la surprise de l'occupant des lieux, en arrivant pour prendre son service. Furieux, il saisit délicatement le papier utilisé qui adhérait encore a l'étron, le déchiffra et se précipita aussitôt dans le bureau du lieutenant Peyssonnel* :
- "Mon lieutenant, le sergent Guillou a chié sur le paillasson de mon bureau"
Toujours calme, en toutes circonstances, le Commandant d'escadrille le questionna ironiquement,
- "Comment savez-vous que c’est lui?"
- "Il y « son nom inscrit sur le papier".
- "Ah, bon ! Alors, maintenant, vous fouillez dans la merde, à vos moments perdus ?"
Lui rétorqua goguenard, le commandant d'escadrille.
L'adjudant-chef vexé, quitta précipitamment le bureau, en maugréant.
Le Lieutenant Peyssonnel* convoqua immédiatement le sergent, auteur de ces faits.
Ayant beaucoup de peine à garder son sérieux, il lui conseilla rependant de manifester autrement son agacement envers son supérieur et lui déclara ensuite, paternellement :
- "A l’avenir essayez d'utiliser un papier cul anonyme*", Allez, rompez !
Ceci montre l’ambiance qui régnait à la 14/72, à cette époque, mais dénote surtout l'humour et les qualités humaines de son chef.
* Il avait employé, un relevé de chèques postaux où figuraient son nom et tes coordonnées.
2. Réparation " minute".
A chaque retour de mission, nous devions noter sur les documents "Cellule et moteur", présents en permanence dans la soute à bagage arrière, les anomalies ou remarques constatées, concernant le fonctionnement de l'avion utilisé, durant le vol.
Les joints du régulateur de l’hélice du T6 avaient la particularité de fuir, assez souvent, vu les conditions d'utilisation de l'avion, surtout en été. Ces fuites entraînaient des projections d'huile sur le pare-brise, altérant parfois la vision vers l’avant, mais les conséquences n’étaient pas graves. Un réservoir de liquide hydraulique assez volumineux permettait toutefois de tenir plusieurs heures en vol à condition que !a fuite ne soit pas trop importante.
Souvent à l'arrivée au parking, nous inscrivions sur "la forme" : "fuite d'huile pare-brise".
Le Sergent Guillou, toujours attentif à l’anomalie signalée, grimpait prestement sur l'aile de l'avion, sortait un chiffon propre de sa poche et nettoyait la vitre soigneusement. Puis il se dépêchait de noter sur la forme moteur : "fuite d'huile réparée".
Les effets ayant disparu, la cause n'existait donc plus. Il regagnait alors la tente de piste, la conscience tranquille, avec le sentiment du devoir accompli…. Sacré Guillou !
NB : Un incident du même ordre m'est arrivé plus tard, lors d'un convoyage retour d'Ambérieu*. Au départ de l'étape d'Ajaccio le 18 février 1959, j'étais n° 12 d’une formation de 12 T6, donc dernier (normal !, j'étais le seul P.E.R de cette mission).
La fuite d'huile sur le pare brise était apparue dans le palier du décollage. Peu importante d'abord, nous avions, d’accord avec le mécanicien assis en place arrière, décidé de poursuivre le vol. Mais les projections avaient ensuite, peu à peu largement déborde sur les verrières latérales, jusqu'à la place arrière. Au bout de 2 heures de vol, la visibilité vers l'avant était impossible. Heureusement la cote algérienne était proche. J'ai dû à l'arrivée à Bône effectuer un atterrissage en urgence, avec la verrière ouverte et la tète à l'extérieur pour "l’arrondi". Mon atterrissage fut accompagné par les camions des pompiers et les ambulances, toutes sirènes hurlantes, qui m'accompagnaient à toute allure sur le taxiway*. Inutile de vous raconter la tète que j'avais à l’arrêt du moteur, au parking.
La fuite fut alors réparée, assez rapidement, grâce à l'assistance des mécaniciens de l’escadrille de 16 présents sur le terrain. Après une toilette sommaire nous avons pu poursuivre le vol vers Blida, sans dégât, cette fois-ci.
* La traversée de la Méditerranée par l'Espagne, pour l'acheminement des T6 en Algérie, pratiquée au début des "événements", a été abandonnée. Le trajet Bône, Ajaccio, Istres, Ambérieu ou retour, malgré la proximité de la F.I.R.* italienne de Sardaigne, présentait moins d'inconvénients, pour une durée de vol analogue, au dessus de la mer.
* Phase de l'atterrissage qui précède le contact des roues avec le sol.
* F.I.R. : Flying Informations Région : Région d'informations en vol.
3. "MIMILE" Le Big Boss.
La base de Thiersville était placée sous la responsabilité, "très limitée" d’ailleurs, d'un Colonel de l'Armée de l'Air, assez avance dans la carrière, mais cependant très sympathique. De petite taille, toujours coiffé d'un calot réglementaire, il ne se déplaçait qu'au volant de sa "Citroën traction avant", qu’il conduisait lui-même dans toute la base, pour sa visite quotidienne des installations et des personnels, au travail.
Comme il disparaissait presque derrière son volant, il conduisait toujours son véhicule à une allure très modérée, prenant même très largement les virages. Dès que sa voiture pointait son capot à l'entrée des bâtiments, tout le personnel se passait le mot "y a Mimile qui arrive" Chacun quittait alors son occupation et rectifiait la position en le saluant respectueusement au passage. Il cheminait alors, au ralenti, devant tout le monde, heureux qu'on le "reconnaisse", en adressant un jovial bonjour de la main à tous "ses petits gars". On l’aimait bien, "MIMILE".
Il en restait encore des officiers comme cela, dans l'Armée de l'Air, en et temps-là.
4. Petite vengeance.
L'adjudant chef qui dirigeait fa section de protection des installations de la base, n'aimait pas les pilotes en général et les mécaniciens de piste en particulier il le leur faisait bien sentir à chaque occasion qui se présentait. En effet, ces personnels subalternes échappaient à son autorité, dans la désignation quotidienne des "tours de garde" des sentinelles. Comme ils étaient astreints à des horaires particuliers, décollage dès l'aube sur alerte, pour les pilotes, et nécessité de préparation des avions, au préalable, pour les mécaniciens de piste, ces 2 catégories de personnels arrivaient à l’escadrille de très bonne heure, pour assurer leur service et ne pouvaient de ce fait être désignés dans cette fonction, surtout de nuit.
De très fort de corpulence, faciès porcin, ventre fortement proéminent, il était surnommé par tous "Gras Double". Imbu de son importance, il ne se déplaçait qu'en jeep conduite par un chauffeur. Pouvait-il d'ailleurs procéder autrement pour effectuer le contrôle des sentinelles dispersées aux 4 coins de la base, surtout à l’aube il sillonnait donc les installations et souvent pour couper au plus court, empruntait le taxiway* qui passait juste derrière le parking où stationnaient nos avions.
Quand il était de permanence de piste, le matin, Louis qui effectuait la "chauffe et les vérifications du moteurs", guettait l'arrivée des phares du véhicule de "Gras Double". II poussait alors la manette des gaz à fond vers l’avant, déclenchant ainsi un tourbillon de poussière qui balayait tout sur son passage. Ainsi, lors de sa traversée du souffle de l’hélice, la jeep faisait un écart soudain et "Gras Double" se cramponnait à son liège en retenant se casquette de l'autre main, tout en maugréant, sans pouvoir évidemment rien faire… Il n'aimait décidemment pas les mécanos.
La vengeance est un plat qui se déguste souvent, dans les frimas de l'aube !
* Taxiway : Chemin de roulement utilisé pour la circulation des avions et des véhicules en dehors des pistes.