L’accident d’un DC-6 militaire qui entraîna la mort du Général AILLERET |
© Compilation de Jacques Moulin 2010.
Les photos et une partie du texte sont extraits d'un supplément du "Journal de l'Ile" (de la Réunion) publié en 2008.
Le général Ailleret (5 étoiles) lors d'une cérémonie à la Réunion la veille de son accident. (DR)
Comme tous les anciens combattants d’Algérie devraient le savoir, le général Ailleret est le représentant du gouvernement qui a signé l’ordre de cessez-le-feu pour les combats militaires en Algérie le 19 mars 1962, le lendemain des accords d’Evian.
Rappelons que le général Ailleret avait, à Bône, choisi, au moment du putsch des généraux du 21 avril 1961, de rester fidèle à ses engagements dans l'armée de la République. En 1962, il est promu général d’Armée. C'est lui qui rédigera donc l’ordre du jour n° 11 du 19 mars 1962 ordonnant le cessez-le-feu en Algérie.
Par la suite, après mars 1962, il s'opposera à l'OAS lors de la bataille de Bab-el-Oued et la fusillade de la rue d'Isly, puis il participera, avec Christian Fouchet, haut-commissaire en Algérie, à l'autorité de transition au moment de l'indépendance.
Il est nommé chef d’état-major des armées le 16 juillet 1962.
C’est pour cette raison que des adhérents anciens combattant de la Côte-d'Or, en voyage sur les plages du Débarquement en Normandie, ont fait un léger détour jusqu'au cimetière de Ver-sur-Mer où repose le général Ailleret entre sa femme et sa fille, tous trois tués dans un accident d'avion militaire qui a fait 19 victimes, au retour d'une mission sur l'île de la Réunion, dont les causes sont probablement multiples et non complètement connues.
Le DC-6 du général Ailleret sur le terrain de la Réunion (DR).
Donc le 9 mars 1968 a lieu la plus grave catastrophe aérienne de l’île de La Réunion, une catastrophe qui fit 16 morts et une victime célèbre, le chef d'état-major des armées, le général Ailleret.
Le général, accompagné de son état-major, est de retour d'une inspection des troupes françaises à Madagascar. L'avion du GLAM, un DC-6, se pose à l'aéroport de Gillot Sainte-Marie. Il est rejoint par un autre vol, celui d'Air France qui amène Michel Debré, lequel vient inaugurer l'usine de Takamaka. L'avion militaire ne reste que quelques heures seulement, un cyclone approche et le commandant veut l'éviter. Le plein fait, l'avion décolle à 23 h 15, sous la pluie. Le temps bouché ne pose cependant aucun problème, la procédure au départ de Gillot est simple, il suffit d'appuyer à gauche, vers l'océan, dès qu'on a quitté le sol. Mais c'est vers la droite que tourne le commandant du DC-6, et il persiste, malgré les appels de la tour de contrôle. Une minute après le décollage, il s'écrase sur les basses pentes de l'île, à Flacourt, commune de Sainte-Marie. Il n'y a qu'une seule survivante, l'infirmière du général. Une rumeur va s'enfler, a-t-on saboté l'avion ou bien plus banalement, les pilotes avaient-ils trop arrosé la soirée, ou plus certainement l’équipage était fatigué par une mauvaise nuit ? On le saura probablement un jour, quand les comptes-rendus de la commission d’enquête seront tombés dans le domaine public, dans quelques années.
Rien de vraiment mystérieux, mais cet accident, le seul à ce jour de cette importance à avoir endeuillé le ciel réunionnais, ne pouvait échapper aux spéculations en tout genre en raison de la personnalité du principal passager, le général Ailleret.
Voila un résumé des échanges radio entre l’avion et la tour de contrôle publié par le Journal de l'Ile :
«Fox Bravo (l’indicatif du DC-6 est F-RAFB ), vous vous dirigez vers la montagne. Virez à gauche immédiatement et en ascension.» La voix du contrôleur aérien en poste au sommet de la tour de contrôle de Gillot ce 9 mars 1968 trahit l’inquiétude. «Compris» répond l’équipage du DC-6 qui aurait ajouté : «Je sais». «En ascension !» insiste le contrôleur. Trop tard, le F-RAFB qui a décollé à 23 h 15 de Gillot vient de s’écraser à 23 h 17 à Beaufond, sur les hauteurs de Sainte-Marie. Les 18.000 litres de carburant contenus dans les réservoirs pour assurer le vol sans escale jusqu’à Djibouti allument un gigantesque incendie en dépit de la pluie battante.
Quant à l’appareil il s'agissait du DC-6B R-RAFB (immatriculation militaire) (S/N 43748) du G.T.L.A. 1/60. L'équipage était composé du commandant Pradier, du capitaine Gaetan, des lieutenants Pezet et Dombet, des sous-lieutenants Roulot et Brando, de l'adjudant-chef Ferdonnet, de l'adjudant Bouzereau et du sergent-chef Guilho. Plus les 7 passagers, dont le général Ailleret. Miraculeusement, la convoyeuse de l’air, Michèle Renard, bien que très grièvement blessée est retrouvée vivante. Les autres passagers et membres d’équipage laissent leur vie dans la catastrophe.
Il semble d’après les témoignages que certains des passagers étaient encore vivants lors de l’arrivée des secours, mais tous sauf la convoyeuse de l’air décédèrent rapidement.
Les raisons de cet accident :
Quarante ans plus tard, la question reste posée : pourquoi ?
Voici ce qu’en disait, en mars 2008, un supplément du « Journal de l’Ile de la Réunion » : (1)
Pourquoi les pilotes aux commandes du F-RAFB ont-ils dérivé vers la droite au lieu d’entamer immédiatement un virage à gauche au-dessus de l’océan comme le font tous les avions décollant vers l’est de Gillot ? Les supputations sont allées bon train. L’équipage était ivre. L’appareil a été saboté. Le rapport de la commission d’enquête dort encore profondément enfoui dans les archives du ministère de la Défense. Mais ceux qui comme Alain Hoarau, contrôleur aérien à Gillot et auteur d’un ouvrage sur l’aviation à La Réunion, ou encore Marc Gérard, météorologue, ont croisé l’équipage du commandant Pradier dans leurs tous derniers instants sont formels : «Ces hommes n’étaient pas saouls. Mais ils étaient épuisés, morts de fatigue. Et pourquoi étaient-ils si fatigués ? Parce qu’on leur avait dit qu’ils ne décolleraient que le lendemain et qu’ils avaient quartier libre pour la journée. Alors ces aviateurs étaient partis pour Saint-Gilles où ils avaient fait de la pêche sous-marine».
Ce qui a filtré des travaux de la commission d’enquête abonde dans le même sens. Les enquêteurs n’excluent pas une défaillance mécanique, mettent en avant les mauvaises conditions météorologiques liées à la proximité du cyclone Karine, soulignent la méconnaissance du terrain et de ses particularités par les pilotes et le chargement important de l’avion le rendant difficilement manœuvrable. Interrogé en février 1988, le général Sylvestre de Sacy, alors chef du Service historique de l’Armée de l’Air, nous avait indiqué : «Le rapport de la commission d’enquête n’est pas encore communicable. Ceci étant, je peux vous dire que les causes n’ayant pu en être trouvées par la commission d’enquête, l’accident a été déclaré imputable à une cause indéterminée, avec toutefois l’hypothèse probable d’une défaillance d’un instrument de bord, à savoir le conservateur de cap, essentiel au premier pilote dans la phase du décollage.»
Le reste du plan fixe vertical l'insigne est visible sur le haut de la dérive. (DR)
Qui était le Général Ailleret ?
Charles Ailleret, né le 26 mars 1907 à Gassicourt et décédé le 9 mars 1968, est un général de l'armée française, réputé comme loyaliste et très probablement gaulliste, résistant, déporté pendant la Seconde Guerre mondiale, ancien chef d’état-major des armées et par ailleurs connu pour s'être opposé au « putsch des Généraux » en Algérie, en avril 1961 alors qu'il commandait la zone du nord-est constantinois.
Il entre à l’École Polytechnique en 1926 et sort dans l’artillerie en 1928. En 1942, il rejoint l’O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée) dont il devient le commandant pour la zone Nord. En juin 1944, il est arrêté et déporté à Buchenwald d’où il revient en 1945.
Promu colonel en 1947, il commande la 43ème demi-brigade de parachutistes. En 1951, il prend le commandement des armes spéciales de l’Armée de terre. Il fait partie du cercle fermé qui, au sein du CEA, mènera la recherche pour concevoir une arme nucléaire : il est, en 1958, commandant interarmées des armes spéciales et dirige les opérations conduisant, le 13 février 1960, à l’explosion de la première bombe A française à Reggane, au Sahara.
En avril 1961, commandant la zone nord-est constantinois, il s’oppose au putsch des généraux d’Alger. En juin 1961, il prend les fonctions de commandant supérieur interarmées en Algérie. Nous connaissons la suite.
Décorations :
Grand-croix de la Légion d'honneur,
Croix de guerre 1939-1945,
Croix de la valeur militaire avec trois citations dont une à l’ordre de l’armée décernée le 21 avril 1962,
·Médaille de la Résistance.
(1) Nous avons essayé de contacter ce journal mais sans réponse à ce jour.