Les porte-avions français
(Histoire sommaire)
© Jacques Moulin 2010.
Le premier porte-avions remis à la France par les Américains en 1946 fut le Dixmude. Mais comme ce porte-avions ne fut pas utilisé en Algérie, nous avons choisi de vous faire un petit historique sur les porte-avions français du « commandant Teste » à l’arrivé des P-A Foch et Clemenceau..
Si la France est encore un des derniers pays (avec les USA et le Brésil [ancien P-A Foch]) à posséder des (enfin un) porte-avions classiques ou nucléaires à catapulte, et fut à l’origine du précepte, elle ne fut pas dans les plus rapides à s’équiper de ce type d’armes.
Historique
L’aviation terrestre débute ses vols au tout début du 20èmesiècle, les armées s’intéressent rapidement au plus lourd que l’air et, en même temps, plusieurs marines s'intéressent à leur utilisation à bord de leurs lourds navires de guerre.
Le premier à théoriser le concept fut le pionnier de l’aviation Clément Ader. Il publia dans un livre, "L'Aviation militaire" (Berger-Levrault, Paris, 1909) :
« Donc, un bateau porte-avions devient indispensable. Ces navires seront construits sur des plans différents de ceux usités actuellement. D'abord, le pont sera dégagé de tout obstacle : plat, le plus large possible, sans nuire aux lignes nautiques de la carène, il présentera l'aspect d'une aire d'atterrissage. Le mot atterrissage n'est peut-être pas le terme à employer, puisqu'on se trouvera sur mer, nous lui substituerons celui d'abordage. » Clément Ader.
Ader décrit également le décollage et l'appontage des appareils vent debout tel qu'il est toujours pratiqué de nos jours. Évidemment les missions prévues étaient bien plus restreintes que celles qui seront effectués par la suite.
Carte postale d'époque colorisée du La Foudre.
Si les premiers essais furent réalisés à l’étranger, le premier transport d'hydravions du monde fut le La Foudre, de la Marine Nationale française avec un hydravion Canard Voisin et ce en juin 1912 !
Le premier navire aménagé spécifiquement pour la fonction de porte-aéronefs fut donc le transport d'hydravions français La Foudre, un croiseur de 6.000 tonnes lancé en 1895 qui fut modifié pour son nouveau rôle entre 1911 et 1912. Lors des grandes manœuvres navales de mai 1914, une douzaine d'hydravions équipés de la TSF est affectée à des missions de reconnaissance jusqu'à 200 km sur divers points de la mer Méditerranée, principalement à Toulon et à Bizerte (Tunisie).
Dès cette époque l’intérêt pour l’aviation navale se développe et intéresse que très peu la marine française, par contre la marine du Royaume-Uni se lance dans des recherches.
La Première Guerre mondiale et les premiers porte-avions.
C’est à partir du transport d'hydravions "Wakamiya" qu’est conduit le premier raid aéronaval par les Britanniques en septembre 1914. Le HMS Furious, avec à bord des Sopwith "Camel", effectua une attaque sur Tønder (juillet 1918).
Les Français n’utiliseront pas de porte-aéronefs autres que le vieux La Foudre qui ne semble pas avoir eu d’activité militaire autre que le transport d’aviation pendant la guerre.
Le Commandant Teste
La France mit sur mer un navire transport d’aviation le Commandant Teste. C’était, lors de sa construction, un transport d'hydravions. Il fut construit par les Chantiers de la Gironde entre 1927 et avril 1929.
Il connut une carrière agitée et fut présent dans les principaux drames de la marine française pendant la Seconde Guerre mondiale : la bataille de Mers el Kébir. Pendant la guerre il rejoint le port de Toulon où il se trouve toujours quand, le 27 novembre 1942, l'amiral Jean de Laborde décide de saborder la flotte française basée à Toulon, après l'invasion de la zone libre par les Allemands. En 1943 les italiens occupant les lieux commenceront un renflouement mais il fut de nouveau coulé en 1944, sera renfloué par les français en 1945 et 1946.
Réparé de nouveau, il ne sera condamné qu'en 1950, puis vendu pour être démoli en 1963.
Le transport d'aviation "Commandant Teste" les hydravions en vol (civils?) semblent avoir été rajoutés. (Édition Bouvet-Sourd photo Emery.)
Une carte postale du Cdt Teste dans les années 30 avec au premier plan un hydravion Gourdou-Lesseure GL 812/813. (Compagnie des Arts Photographiques- Paris -)
Rare vue du "Commandant Teste" sabordé en rade de Toulon en novembre 1943. Il sera remis a flots par les italiens mais sera a nouveau touché, avant d'être récupéré en 1945 par la France (DR) .
Caractéristique du transport d’aviation
"Commandant Teste".
Déplacement : 10900 tonnes
Longueur hors tout : 167 m
Largeur hors tout : 27 m
Tirant d’eau : 6,93 m
Puissance : 21000ch
Vitesse : 20,5 nœuds
Machines
Turbines : Schneider Zœlly à engrenages 2 hélices.
Chaudières : Loire à petits tubes (2 à Mazout et 2 mixtes).
Charbon : 720 tonnes.
Mazout : 290 tonnes
Performance
Rayon d’action : 6000 milles à 10 nœuds
Equipage :
Effectif : 42 officiers et 600 hommes d’équipage.
Armement
12 canons antiaériens
8 canons de 37 mm
12 mitrailleuses de 13 mm
Aviation
4 catapultes Penhoët et 26 hydravions.
Le "Béarn" .
Malgré les nombreuses constructions de porte-avions aux USA, en Grande-Bretagne et au Japon, la Marine Nationale française se contente de transformer de 1923 à 1927 un seul cuirassé en porte-avions, le Béarn, un navire de 25.000 tonnes.
Le Béarn fut construit par les Chantiers de La Seyne. Il fut mis sur cale en 1914 et son lancement sera effectué en 1920 pour une mise en service en 1928.
A l'origine il devait être un cuirassé de la classe "Normandie" dont la construction fut suspendue jusqu'en 1923. De 1923 à 1928 il fut transformé en porte-avions. Son pont d'envol mesurait 180 mètres, sur un hangar de 124 mètres reliés entre eux par 3 ascenseurs électriques. Le pont d'envol fut modifié à l'avant en 1929. Le Béarn subit une grande refonte en 1935 aux Forges et Chantiers de la Méditerranée.
Les effectifs étaient de 45 officiers et 830 hommes, aviation comprise.
Caractéristiques de sa construction
Il avait une puissance de 37.200 ch pour une vitesse de 21,5 nœuds, très nettement insuffisante pour pouvoir être utilisé au combat dans les années 40.
Les machines : 2 turbines (centrales); 2 Alt. (latérales); entraînant 4 hélices;
12 chaudières petits tubes.
2.160 tonnes de mazout
Son armement était constitué de 8 canons de 155/55, 6 canons de 75/60, 8 canons de 37 (?) AA, 4 tubes lance-torpilles de 550, 40 avions.
Le Béarn avec un camouflage spécial probablement en 1939/40, (Photo Marius Bar Toulon)
Cet insigne apparemment rarissime et provisoire
aurait été fabriqué en Amérique pendant les années 43/44 (DR)
Le Béarn ne fut jamais utilisé au combat mais comme transport d’aviation. C’est lui qui transporta les avions achetés aux USA par la France en 1939/40. A l'aller, il emporta de l'or pour payer le matériel américain, et au retour il embarqua des avions.
Le porte-avions Béarn dans les années 20.
En juin 1940 il appareille donc pour un transport (qui sera le dernier) en compagnie de la Jeanne d'Arc. Il se dirige vers Halifax, au Canada, pour embarquer 200 avions américains (Brewster "Buffalo" pour la Belgique, Curtiss H-75 pour l'Armée de l'Air, SB2-C biplan de torpillage pour la Marine). Il est détourné le 20 juin 1940 vers Fort-de-France (Martinique). Il y débarque ses avions et il va rester au mouillage pendant trois ans.
Le 8 septembre 1943 il appareille à la remorque pour la Nouvelle-Orléans où il va être transformé en transport d’avions. Il reste à la Nouvelle-Orléans jusqu'au 30 décembre 1944 date à laquelle il appareille pour Norfolk pour terminer sa transformation. Le 3 mars le Béarn est à New York où il reçoit des avions et appareille avec un convoi à destination de Casablanca. Le 13 mars 1945 il aborde accidentellement un transport de troupes américains (31 morts sur le transport, 4 sur le Béarn) il relâche aux Açores puis à Casablanca où il arrive le 25 mars. Il débute une période d'indisponibilité jusqu'au 19 juillet 1945.
Le Béarn en 1938 après transformation de l'îlot.
Le porte-avions Béarn à la mer.
Le Béarn après-guerre :
Le Béarn effectuera quelques transports d'aviation vers l'Indochine en 1945 et 1946, puis il sera stocké à Toulon où il arrivera le 23 juillet 46. Il sera ensuite amarré à l'Angle Robert près de La Lorraine puis, affecté au GASM le 9/12/48, où il sert de bâtiment base, amarré dans la darse des sous-marins jusqu'au 1/11/66.
Le Béarn est vu ici à Toulon sûrement peu après son retour d'Indochine (arrivée le 23 juillet 46). La coque en deux tons de gris est typique de la période 1945/50. Il doit être à Milhaud. Il sera ensuite amarré à l'Angle Robert près de La Lorraine puis, affecté au GASM le 9/12/48, où il sert de bâtiment base, amarré dans la darse des sous-marins jusqu'au 1/11/66. © Jean Moulin (1) (photo archives Jacques Moulin).
Les premiers porte-avions d'après-guerre :
En 1945, la construction d’un porte-avions est une opération relativement nouvelle pour la Marine Nationale française. Son premier porte-avions, le Béarn, qui a été construit en 1914 à partir d'un ancien cuirassé de 25.000 tonnes de la classe « Normandie », dont la construction avait finalement été annulée en 1919 et encore disponible après avoir été modernisé aux USA, mais sa vitesse est très faible.
En 1931 sont étudiés les projets PA-16 de 18.000 tonnes, le Joffre et le Painlevé. Par la suite, des études avaient été conduites à Vichy durant la Seconde Guerre mondiale (projet PA5B de porte-avions moyen, projet PA1 P2C de porte-avions lourd de 47.000 tonnes) mais les conditions industrielles et financières rendent pratiquement impossible la construction d’un porte-avions neuf : en désespoir de cause, le Conseil supérieur étudie des solutions de rechange qui seront toutes abandonnées : la transformation du transport d'hydravions Commandant Teste en porte-avions d’escorte n'est évoquée en octobre 1945 que pour être abandonnée en février suivant, la remise en état du Béarn n’est pas une solution, le bâtiment et bien trop lent, la transformation du cuirassé inachevé Jean Bart en porte-avions coûterait presque aussi cher qu’un porte-avions neuf : 4 milliards de francs contre 5 et cette solution est vite écartée.
Par contre, en 1945 sur trois porte-aéronefs, le Dixmude (ex-HMS Bitter) et le transport d'hydravions Commandant Teste sont disponibles. Le 2 octobre 1945, le Conseil supérieur de la Marine examine trois projets : le PA-28, un porte-avions léger de 15.700 tonnes et d'un coût de 3 milliards de francs, les PA-29 et PA-27 de, respectivement 22.500 et 26.130 tonnes, d'un coût de 4,5 et 5 milliards de francs.
Alors que la Marine reçoit en prêt de la Grande-Bretagne en mars 1946 le HMS Colossus (rebaptisé Arromanches en 1948), la construction du PA-28 est approuvée par le Conseil, l'état-major et l'Assemblée. Les essais du PA-28, rebaptisé Clemenceau, sont prévus pour septembre 1952, mais cette construction sera abandonnée.
Le 5 mars 1949, peu avant qu'elle ne rejoigne l'OTAN, la France réclame aux États-Unis 1 porte-avions, 6 destroyers d’escorte, 24 dragueurs, de l’artillerie et des munitions et reçoit en 1950 l'USS Langley (rebaptisé La Fayette) et l'USS Belleau Wood (rebaptisé Bois-Belleau) en 1953. Arrêté fin 1949, le projet de l'amiral Barjot est transformé en deux porte-avions de 22.000 tonnes lège, et la construction est lancée en 1955 pour les deux sisterships qui seront le Clemenceau (R98) et le Foch (R99).
En 1973, la question de leur remplacement est au centre d'un "plan bleu" visant à doter en 1981 la Marine Nationale française de 2 porte-aéronefs (les PH 75) de 18.400 tonnes à propulsion nucléaire pour remplacer le porte-avions Arromanches (R95), utilisé alors pour l'entraînement et décommissionné (2) en 1974. Les deux PH 75 devaient opérer 10 à 25 aéronefs ADAC avec l'aide d'un tremplin. Les PH 75 (qui resurgiront fortement modifiés en 1997 sous le terme de Bâtiments d'intervention polyvalents, future classe "Mistral"), sont annulés en 1980. Au final, seuls les deux porte-avions à propulsion nucléaire (PA 75) sont retenus : le Bretagne, dont l'entrée en service est prévue pour 1992 et son sistership le Provence. Cependant, la commande du 1er bâtiment (renommé Richelieu puis Charles-de-Gaulle) est renvoyée à 1987 et le 2e, le PA 2, attendra vingt-deux ans.
Les porte-avions utilisés par la France et retirés du service :
2 transports d'hydravions :
o La Foudre (1911-1921)
o Commandant Teste (1929-1950).
7 Porte-avions (CV) :
o Béarn (1928-1965) (inactif à partir de 1946);
o Dixmude (1945-1964) ;
o La Fayette (1951-1962) ;
o Bois-Belleau (1953-1959) ;
o Arromanches (1946-1978) ;
o Clemenceau (1961-1997) ;
o Foch (1963-2000). (3)
(1) Jean Moulin est un spécialiste des bateaux et notamment des porte-avions, mais n'est pas parent avec l'auteur de ce blog.
Le DIXMUDE
Le premier porte-avions américain qui arriva en France fut le Dixmude. C’était un porte-avions léger, en service dans la Marine Nationale française de 1945 à 1964. Il faisait partie des nombreux porte-avions d'escorte (CVE) que les États-Unis ont produits en grande série pendant la Seconde Guerre mondiale à partir de coques de cargos, il avait alors pour nom Rio Parana, pour servir comme porte-avions d'escorte de convois avec cette fois le nom de HMS Normactern puis il passa par la Royal Navy où il devint le HMS Biter. Après une mise en réserve suite à un incident et l'incendie de câblage électrique, il sera abandonné par les Britanniques puis il sera récupéré par la Marine française et, réparé, il deviendra le Dixmude. Le nom de Dixmude lui est donné en hommage à la ville belge du même nom, siège de la bataille du Front de l'Yser en 1914.
Le porte-avions Dixmude
Une autre vue du Dixmude.
Carte postale sans nom d'auteur et sans date , remarquez le TA (transport d'aviation ?) les marins sur le pont semble avoir des bonnets de l' USN (?) ce qui ne facilite pas la dattation.
Histoire du Dixmude sous pavillon français
Dans l'immédiat après-guerre, l'aéronautique navale française ne dispose que d'un très maigre parc disparate à base de chasseurs "Seafire" Mk.III (flottille 1F), de bombardiers Douglas SBD "Dauntless" (flottilles 3F et 4F). La Marine Nationale française, elle-même, arme 306 bâtiments disparates et vieillissants jaugeant 365.360 tonnes, dont une partie provient de l’aide alliée (203 navires reçus dans le cadre des accords Lend-Lease et Mutual Aid, soit 71.944 tonnes) et cherche désespérément un porte-avions.
Désarmé après la bataille de l'Atlantique, le Biter est alors dans un triste état, abandonné dans la Clyde depuis août 1944 suite à des avaries. Lorsque les Français demandent qu'il leur soit cédé pour être utilisé avec les SBD fournis par les Etats-Unis, les Anglais acceptent et il sera réparé par des ouvriers français. Il est pris en compte par la Marine Nationale française le 9 avril 1945 sous le nom de Dixmude (A609). En 1952, il est classé transport d'aviation. Il continue ses rotations entre les États-Unis, l'Indochine française, l'Inde, l'Afrique du Nord, le Sénégal, etc. Par la même occasion, il livre à l'Inde 32 puis 35 Ouragan et Mystère IV vendus à l'exportation. Enfin, le Dixmude prend part à l’évacuation du Tonkin, en 1954. Désarmé en 1960 à Saint-Mandrier, il sert de base au Corps Amphibie jusqu'au 30 janvier 1965, où il est placé en réserve spéciale. Il est ensuite rendu aux États-Unis le 10 juin 1966. Il quitte la France le 14 juin pour servir de cible à la Sixième flotte américaine en Méditerranée le 17 juin.
Il ne fut donc pas utilisé pour les combats ou la surveillance des côtes algériennes, mais il servit notamment au transport d'avions militaires US d’Amérique (qui seront utilisés par l'Armée française en AFN) vers la France (T-6 G).
Le Dixmude désarmé utilisé comme ponton à Saint Mandrier (près de Toulon)
après 1960, alors qu'il sert de base au Corps Amphibie cela durera jusqu'au 30 janvier 1965.
Caractéristiques techniques
Lancement : 28 décembre 1939
Type : porte-avions léger (CVL)
Longueur : 150 m
Maître-bau : 21,2 m
Tirant d’eau : 8,7 m
Déplacement : 16.200 tonnes (à pleine charge)
Propulsion : 2 moteurs diesel Doxford 2 temps à pistons opposés Sun, 1 ligne d’arbre.
Vitesse : 15 nœuds
Caractéristiques militaires
Armement : 3 canons de 102 mm, 18 canons antiaériens de 20 mm, 4 mitrailleuses
Rayon d’action : 4 605 milles
Autres caractéristiques
Équipage : 800 officiers, officiers mariniers, quartier-maitres et matelots, aviation comprise.
Port d’attache : Toulon
Indicatif : A609
(1) Le nom de Dixmude fait référence à la célèbre bataille de 1914, le long de la mer du Nord en Belgique (front de l'Yser), au cours de laquelle la brigade des fusiliers marins de l'amiral Ronarc'h s'est illustrée. Un dirigeable de la Marine a porté ce nom en 1925, puis le porte-avions léger (1945-54) qui a notamment servi en Indochine. Ce sera bientôt le nom d’un des deux BPC (Bâtiment de projection et de commandement) de la Marine qui seront construits pour compléter la dotation qui comprend déjà le Mistral et le Tonnerre. Des discussions sont en cours pour vendre des bateaux de cette classe (20.000 tonnes) à la Russie.
(1) Décommissionné : retiré du service actif.
(2) Vendu au Brésil.